Une croissance impressionnante mais une dépendance persistante
La production agricole en Afrique subsaharienne affiche la plus forte croissance au monde depuis deux décennies. Paradoxalement, le continent continue de dépendre massivement des importations alimentaires.
En 2020, plus de 80 % des produits alimentaires de base consommés en Afrique provenaient de l’extérieur, représentant environ 60,5 milliards de dollars, contre seulement 13,2 milliards de dollars importés depuis d’autres pays africains, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Un secteur en pleine expansion
Thomas Jayne, professeur d’économie à l’université d’État du Michigan, souligne à Jeune Afrique que malgré cette dépendance aux importations, le secteur agricole africain connaît une croissance remarquable. Entre 2000 et 2010, les importations alimentaires africaines ont explosé, passant de 7 milliards à 40 milliards de dollars. La production agricole africaine a augmenté à un taux annuel de 4,3 %, contre une moyenne mondiale de 2,75 %.
Les défis structurels et les limites des investissements
Toutefois, cette croissance cache des défis importants. Michael Sudarkasa, directeur de Africa Business Group, rappelle à la même source que l’Afrique subsaharienne est historiquement productrice de cultures commerciales comme le café, le cacao et le coton. Aujourd’hui, les opportunités se trouvent davantage dans les fruits, les noix et les légumes. Les limites des investissements et les rendements agricoles restent problématiques, aggravés par une recherche agricole stagnante et une croissance démographique rapide.
L’impact de l’urbanisation et la demande croissante
Avec une urbanisation accélérée, les modes de vie et de consommation changent. Selon Quentin Rukingama, directeur associé de JBQ Africa, l’urbanisation croissante augmentera les besoins alimentaires, rendant le continent encore plus dépendant des importations. Par exemple, alors que les zones rurales peuvent produire et consommer de l’ugali à base de maïs local, les zones urbaines consomment des produits comme le chapati, fabriqué à partir de blé importé.
Des solutions pour une agriculture durable
Pour remédier à ces problèmes, Sand K. Mba de Africa International Trade & Commerce Research préconise une approche intégrée du secteur agricole. La Déclaration de Maputo (2003) incite les gouvernements africains à consacrer 10 % de leurs dépenses publiques à l’agriculture, mais la plupart des pays n’atteignent que 2 à 3 %, limitant ainsi les progrès en recherche agricole et en rendement.
Les initiatives prometteuses et les perspectives d’avenir
Des pays comme l’Éthiopie, le Rwanda, la Zambie, le Nigeria, le Ghana, le Maroc et le Sénégal montrent la voie en augmentant leur production alimentaire grâce à des stratégies adaptées : création de marchés, amélioration des infrastructures, et soutien à la productivité des petits exploitants. Quentin Rukingama souligne l’importance de considérer l’agriculture à petite échelle comme une entreprise, et non comme une simple subsistance.
Le commerce intra-africain comme alternative
Le commerce intra-africain offre une alternative prometteuse aux importations. Thomas Jayne estime que l’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) encouragera les pays africains à s’approvisionner les uns auprès des autres, profitant ainsi à leurs propres producteurs. Abebe Haile-Gabriel de la FAO insiste sur le potentiel des terres arables non cultivées en Afrique, qui représentent 60 % des terres arables mondiales. Pour réaliser ce potentiel, il faut des politiques publiques encourageant les investissements privés, ajoutant de la valeur aux produits locaux et créant des emplois.
A retenir
L’agriculture africaine est à un tournant. La croissance de la production agricole est indéniable, mais la dépendance aux importations demeure un défi majeur. Des stratégies intégrées, des investissements accrus et le commerce intra-africain pourraient transformer ce paradoxe en opportunité, permettant à l’Afrique de devenir non seulement autosuffisante, mais aussi un acteur majeur sur les marchés agricoles mondiaux.